« On ne peut pas parler de don de sang sans lutter contre la corruption: Pr Aboubacar Nacro, Pédiatre au CHU de Bobo- Dioulasso
Le chef du département de la pédiatrie du centre hospitalo-universitaire Souro SANOU de Bobo-Dioulasso évoque les difficultés que son service rencontre pour s’approvisionner en poche de sang pendant l’hivernage.Il dénonce aussi des pratiques malsaines au sein du CHU.
Professeur Aboubacar Nacro , Pédiatre au Centre hospitalier Univeritaire de Bobo-Dioulasso
GROUPE 1 : Le département dont vous avez la charge a t-il besoin de poches de sang pour les soins administrés aux enfants ?
Pr NACRO : « le département de la pédiatrie a besoin des poches de sang pour les enfants surtout au cours de la période hivernale où le paludisme est assez récurrent. Plus de deux mille enfants dans la région des hauts bassins ont besoin de sang au cours de la saison pluvieuse afin de remédier aux problèmes d’anémie mais surtout réduire le taux élevé de mortalité infantile. L’insuffisance des poches de sang se fait sentir chaque année à cette période et elle est liée au départ des élèves, étudiants pour les vacances ».
GROUPE 1 : Rencontrez vous des difficultés pour l’accès au sang bien que le centre de transfusion sanguine de la région ne soit pas loin de l’hôpital?
Pr NACRO : « les difficultés qu’on rencontre pour sauver la vie des enfants sont la non disponibilité des poches de sang, il y a aussi l’incompatibilité des groupes sanguins car il peut y avoir du sang mais pas celui qui correspond au patient. Des groupes sanguins particuliers sont moins fréquents dont le O rhésus négatifs (oRh-), mais tout un phénomène est organisé autour. Ce qui fait que l’accès est plus difficile et on pense qu’on vend du sang à l’hôpital et cela pose un problème de traçabilité ».
GROUPE 1 : que voulez vous dire par traçabilité ?
Pr NACRO : « La traçabilité signifie qu’un parent qui attend, s’inquiète pour son enfant. Si on lui dit qu’il n’y pas de sang, mais qu’il voit quelqu’un arrivé après lui avec une poche de sang, il ne comprend pas tout le processus obligatoire pour obtenir ce sang. Il va forcément penser qu’on a donné à l’autre parce qu’il a payé. Pour ce parent il y a manque de traçabilité. Certains agents de santé organisent tout un trafic autour du sang pour se faire de l’argent. Ces agents sont automatiquement sanctionnés pour de telle pratique si on en prend connaissance ».
GROUPE 1 : comment obtenez-vous le sang pour vos patients et quel est le niveau d’implication des parents ?
Pr NACRO : « le centre de transfusion sanguine a une antenne de distribution au sein de l’hôpital. Il y a une fiche que nous remplissons et nous envoyons avec toutes les indications nécessaires. Quand le sang est disponible, un agent de santé prend le bond de commande et nous donne le sang. Ce ne sont pas les patients qui vont chercher une poche mais les filles de salle pour la plupart du temps ».
GROUPE 1 : êtes vous au courant du fonctionnement du CRTS ?
Pr NACRO : « Le CRTS a un moment donné a décidé de faire payer une somme forfaitaire pour les matériels qui concourent au prélèvement et à la conservation du sang. On a toujours refusé en leur demandant de trouver d’autres processus pour payer ces équipements parce que les populations ne comprendraient pas. C’est ce que j’appelle la traçabilité. Lorsque le CRTS prend 5.000f CFA et qu’il donne une poche de sang, il dit que ce n’est pas le sang qui est vendu mais plutôt la poche et la tubulure, ce n’est pas clair. Pour le patient il a tout acheté parce que c’est le sang qui l’intéresse ».
GROUPE 1 : Pensez-vous que le sang peut être mis en vente ?
Pr NACRO : « pour moi le sang est un organe comme tout autre, on ne peut pas le vendre. C’est dangereux, c’est comme si on apprend qu’on vend des têtes. Si on devait le vendre cela voudrait dire qu’on peut le prélever même par la force. On ne peut pas parler de don de sang sans lutter contre la corruption et jusque là je n’ai pas encore vu des sanctions rigoureuses venant de la part du ministère de la santé à l’endroit des fautifs. A notre niveau, nous prenons des sanctions qu’on appelle les sanctions de premier degré ».
GROUPE 1 : La population est-elle motivée par le don du sang?
Pr NACRO : « les plus corrompus aujourd’hui sont les jeunes, ils ne veulent plus travailler et certains donnent leur sang juste pour avoir une boîte de sardine.Le don de sang c’est quelque chose de profond. Il ne faut pas attendre que son enfant soit malade pour donner son sang. C’est comme si on vous donne un rein c’est de la conscience. La population ne sait pas ce qui veut dire le don du sang ».
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